Une avocate trouve sa place au sein d’un grand cabinet
Dans le cadre d’une série de discussions avec des avocat.e.s qui ont réussi à trouver une activité professionnelle qui leur permet de s’épanouir (d’autres postes disponibles sur la version anglaise du site), j’ai parlé avec une avocate qui est actuellement Counsel dans un cabinet international.
Lors de notre discussion, elle a évoqué les opportunités et les difficultés inhérentes au poste, ainsi que l’évolution de son rapport au travail au cours de sa carrière jusqu’à présent. Elle a également partagé ses conseils pour les avocat.e.s toujours en quête du poste qui leur convienne.
Quel est ton poste actuel ?
Je suis counsel dans un cabinet international. Ce poste, un tremplin pour devenir associée, me permet de développer ma carrière et d'être impliquée sur plus de dossiers qui me plaisent. J’ai une équipe et la liberté d’aller pitcher des clients que je trouve intéressants pour le cabinet.
J’ai également l’opportunité de faire plus de mentoring, d’aider des femmes, et de favoriser la circulation du savoir entre juridictions, en faisant par exemple des formations dans des pays en voie de développement. Bien sûr cela a du sens pour le cabinet que je le fasse, qui me soutient donc dans toutes mes démarches, mais je suis très chanceuse car être engagée dans ces activités me rend heureuse.
Comment gères-tu les demandes concurrentielles du poste, notamment le travail sur les dossiers courants et la recherche de nouveaux engagements ?
Ça demande beaucoup d’initiative et d’organisation. Une grosse majorité des projets sur lesquels je travaille, je les origine moi-même. Il faut essayer de trouver la combinaison gagnante entre ce qui vous fait plaisir et ce qui contribue à l’activité du cabinet. Souvent c’est ces initiatives-là qui sont les plus fructueuses.
Après, c’est une question de gestion de temps et d’attentes. La première attente ce n'est pas forcément celle du cabinet ou du client mais c’est la vôtre. On a des attentes un peu fantasmagoriques de la vie professionnelle : on cherche à être accomplie sur tous les points tout le temps.
Ce métier, il attend de nous beaucoup de flexibilité. Mais au final ce qui est demandé, c’est que l'on réponde aux besoins du client. Si ce n'est pas vous directement qui le faites, c'est quelqu’un de votre équipe que vous auriez formé pour le faire. C’est donc beaucoup de management.
Qu’est-ce qui te permet de trouver un peu de temps libre ?
C’est très important de déléguer à sa secrétaire tout le côté administratif, et de déléguer des tâches aux collègues plus juniors. Dans mon équipe, si on est sur un dossier ensemble, on passe beaucoup de temps en amont à établir un calendrier et on se fait des points régulièrement. Parfois c’est quelque chose que je fais même pour les dossiers gérés par les associés : si vous arrivez avec une proposition de calendrier, même non demandée, ça vous sera rarement refusée et permettrait de mieux organiser toute l'équipe.
Il ne faut pas oublier que nous sommes tous des êtres humains au final—avoir une conversation honnête avec l'équipe sur la disponibilité de chacun, ça n'est pas déraisonnable. Et si vous travaillez pour une équipe qui considère que c’est déraisonnable de prendre trente minutes pour manger ou de ne pas être disponible dix minutes parce que vous êtes allé faire un tour, par exemple, ce n'est peut-être pas le meilleur endroit pour travailler.
Quels sont les aspects les plus difficiles de ton poste actuel ?
Comme j’ai la liberté de développer et travailler sur mes projets, il y a des moments où j'aurai souhaité un peu plus de structure, par exemple quelqu’un qui véritablement me prenne sous ses ailes, et me guide, comme c’est le cas dans une situation de mentorship. C’est un peu le revers de la médaille ; il y a des fois où je me sens un peu seule dans mes démarches.
J’arrive à un stade dans ma carrière où j’aimerais une progression de carrière et ça prend du temps. Donc quelquefois je suis un peu frustrée parce que je me dis, qu’est-ce qu’il faut que je fasse de plus pour progresser ? Il y a toujours des moments de doute, où on se dit “ça n'arrivera jamais, c’est impossible ce qu’on me demande.” Autant je prends beaucoup de plaisir à participer à des conférences, à écrire des articles, à plaider des affaires qui me plaisent ou à travailler sur un dossier qui m’intéresse, autant je trouve que l’obligation de générer du business me stresse beaucoup.
A l'époque, lorsque l'on m'a proposé ce poste de counsel, il m’a été "vendu" comme une étape vers associée. Je me suis tout de suite vraiment sentie dans un nouveau rôle et appréciée, et je me suis dit “ça y est, je suis passée à un autre stade de ma carrière” donc ça m’a beaucoup aidée pour ma motivation. Là, après quelques années dans ce rôle, je pense que j’arrive à un autre point encore dans ma carrière où je me dis : “c’est bon, hein ? Je vais pas rester counsel toute ma vie.”
Ça va faire plus de dix ans que je passe plus de 90% de ma vie où je suis éveillée à travailler (j'exagère un peu peut-être mais je ne suis pas loin !) ; c’est un investissement énorme ! Et même si c’est agréable, j'aimerais bien un retour sur l’investissement. Pour moi c’est pas l’argent, c’est beaucoup plus important pour moi d’avoir de la reconnaissance professionnelle, d’avoir les bons dossiers, etc.
Tu es non seulement avocate mais également mère. Le fait d’avoir un enfant a-t-il changé quelque chose pour toi ?
Avoir un enfant vous force de prendre un peu de temps chaque jour où l'on n'est pas disponible pour travailler, parce que par exemple, entre 18h et 19h30, c’est un moment très important pour un enfant (surtout en bas âge) : ils ont besoin d’attention, ils ont besoin qu’on leur demande comment s’est passée la journée, il faut les laver, il faut les nourrir, il faut les coucher. J’ai beaucoup de collègues—hommes et femmes—qui sont également parents et qui savent que ce moment-là, c’est un moment très important et qu’on ne peut pas appeler (ou être sollicité pour le travail) pendant cette période, surtout lorsqu'on travaille de chez soi (comme ce fut le cas ces derniers temps).
Mais alors attention parce que ce n’est pas forcément un moment reposant pour soi : c’est un moment pour son enfant ! Et je pense que c’est ça que les gens oublient. Le burn-out des parents, c’est de passer de “on bosse, on bosse, on bosse,” à “ok, je m’occupe de mon enfant” et hop ! je me reconnecte. C’est fou de faire ça, sans aucun moment véritablement pour soi.
Aux demandes concurrentielles des clients, aux demandes concurrentielles de la maison, il faut rajouter à cela la demande que vous avez pour vous-même et c’est ça que les gens laissent passer à la trappe souvent. Il faut s’accorder des moments où on souffle ; sinon il n'y a plus rien qui marche.
Je ne dis pas que je réussis à le faire à 100% du temps ; il y a des moments de stress plus ou moins importants, mais je m’accorde ce temps avec beaucoup de moins de culpabilité que je le faisais avant. Et ça m’a rendue beaucoup plus heureuse.
Quels conseils as-tu pour les lecteurs de ce blog ?
Arrêtez-vous de vous comparer aux autres. Il faut également essayer de créer son propre chemin, même si la carrière d’un avocat paraît très linéaire et très tracée. J'ai longtemps pensé que tous les cabinets étaient pareils, j’y ai presque cru au point de quitter la profession parce que ça ne me plaisait pas et je me suis dit “ça ne va jamais être différent, ça va toujours être la même chose.” Je me suis rendue compte qu’au final votre métier dans un cabinet d'avocats reste une expérience humaine : les collègues avec lesquels on travaille, ainsi que les clients, sont déterminants. Il faut que je m’entoure avec des gens qui sont agréables et positifs.
Au tout début où j’apprenais la profession, je travaillais très (trop) dur, je ne faisais que ça, je ne pensais pas à autre chose. La validation des autres, surtout mes supérieurs, m’était très importante à ce stade-là ; je n'avais pas du tout eu confiance en moi professionnellement et c'était normal je suppose parce que je venais tout juste de commencer. C’était beaucoup de questionnement en privé : "est-ce que je suis vraiment faite pour ça ?” "est-ce que je peux tenir ?” “est-ce que je ne devrais pas arrêter ?” “est-ce que je ne devrais pas faire autre chose ?” A force de me questionner constamment, cela a beaucoup contribué à mon mal-être.
Aujourd’hui je ne me pose plus autant de questions. Je me concentre sur mon travail et ce que je fais et plus autre chose, plus sur les autres : me questionner par rapport à l’activité des autres, nos collègues, nos amis, etc, ça n'apporte rien de positif. En réalité, nous nous posons tous les mêmes questions. C’est un métier assez solitaire et on se rend compte que tout le monde se pose des questions sur notre confiance en nous-mêmes—souvent les gens dont on s'y attends le moins, le font également.
On cherche toujours la validation des autres, surtout dans ce milieu. Et on ne l'obtient (presque) jamais, parce que les gens n’ont pas le temps. Cela contribue à beaucoup de solitude, parce-que l'on ne sait pas si ce que l'on fait est bien ou pas.
J'ai appris avec le temps à me concentrer sur moi et j’avance.
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